Sunday 29 August 2021

Marie Dauguet: 'Je te salue, ô Feu...'


 

Je te salue, ô Feu  

 

Je te salue, ô dieu premier né, Feu sacré!

Quand tu parais au ciel les collines bondissent

Et leurs croupes fumant et haletant blondissent.

Je te salue, ô Feu, toi qui m’as engendrée.

 

Je baise ma main et t’adresse mon baiser,

O dieu splendide assis sur ton trône écarlate,

Et pour te louanger mon cœur fervent éclate

Comme la rose éparse hors du bouton brisé.

 

Je te salue, ô Feu, alors que l'ombre hagarde

Disparaît sous tes pas tonnants et radieux;

Je te salue, ô Feu, avec le cri que darde

Le coq: javelot pourpre ensanglantant les cieux.

 

Je te salue, ô Feu, toi qui mugis; ô Verbe

Gigantesque épandu dans l'éther étourdi.

Ton geste impérieux, vers les êtres brandi,

Incline avec nos cœurs l’yeuse, le chêne, l’herbe.

 

Je te salue, ô Feu, comme jadis l'ont fait

Mes pères amoureux, caressés par ta flamme;

Vers ton brasier géant, je projette mon âme,

Qui, dans son noir cachot, ma chair vaine, étouffait.

 

Je te salue, ô Feu viril qui me pénètre,

Amant cher, tiaré d'or clair et de rubis,

Avec la même voix que mes lointains ancêtres

Dans la plaine aryenne où passaient leurs brebis,

 

Je te salue, ô Feu, face auguste de l'Etre.

 

 

You I salute, oh Fire…

 

You I salute, oh first-born of gods, sacred Fire!

When you kindle the sky, with great bounds hills respond

And, steaming and panting, round summits soon turn blond.

You I salute, you who engendered me, oh Fire.

 

I kiss my hand and then address this kiss to you,

Oh marvellous god on your scarlet throne on high,

To sing your praise my fervent heart bursts open wide

As does the rose that from its bud springs out anew.

 

You I salute, oh Fire, as when crazed shades, aghast,

Take flight at your steps’ radiant increasing roar;

You I salute, oh Fire, with the cock’s cry a shaft –

A purple javelin, staining the skies with gore.

 

You I salute, oh Fire, you who flare out; oh vast

Word of great power spread throughout stunned upper air.

Your imperious gesture made at beings there

Inclines, as do our hearts, the ilex, oak tree, grass.

 

You I salute, oh Fire, as amorous ancestors

In former times did, caressed by your flame in spate;

Project my soul towards your gigantic brazier

From its dark dungeon which vain flesh would suffocate.

 

You I salute, oh virile Fire that pierces me,

Dear lover, with your crown of rubies and bright gold,

With the same voice of distant ancestors of old

On the Aryan plain, their ewes watched constantly.

 

You I salute, oh Fire, great countenance of Being.

 

Les Pastorales, 1908.

 

Friday 27 August 2021

Marie Dauguet: 'La vie est un moment' (1924)

 

La vie est un moment...

 

La vie est un moment qu’on ne peut fragmenter ;

Du passé au futur elle reste la même ;

Et ton âme simultanée est un seul thème,

La même symphonie: le scherzo, l’andante

 

Pleurant et l’allegro qui s’efforce au triomphe.

Tu étais toi le jour où, près de ce vieux mur,

Inondé de printemps, ton cœur d’enfant se gonfle

Et toi quand sous ton front éclatait tout l'azur

 

Caressé du soleil où les froments mûrissent.

Et tu fus encor toi quand la douleur est là

Avec sa meute atroce et qui te harcela,

Ses hallalis dont l’âme et la chair retentissent ;

 

Dans la haine et l’amour de la vie; dans l’amour,

Avec son frisson vide ou son dévouement d’ange

Et son don absolu, chagrins longs, bonheurs courts ;

Cœur faux, faible, sans foi, un autre où rien ne change.

 

Ame divinisée, tu fus ces jaunes feux

Des lunaisons gardant au long des prés aqueux

D’octobre les troupeaux, et la paix violette

Des soirs que traversait le cri flou d'une chouette.

 

Un lac suisse, Schubert, un bois lorrain, les pins

Aux troncs pourprés... tout près d’une mer qui halète ;

Pise, le vent d’argent parmi les Apennins,

Le Palatin où l’on cueille des pâquerettes.

 

L'étang mêlé à toi inextricablement,

Dont l’odeur te parlait autant que la musique,

Les harpes des roseaux et leur ruissellement,

Les soupirs nuageux des peupliers mystiques.

 

Et c’est pourquoi ce livre où je suis tout entier

A fait de mes années le bois qui enchevêtre

Des oliviers en fleur à l’automne du hêtre,

La mousse s’éplorant et le chant d'un ramier.

 

Je l’écrivis pour moi, souvent la tête basse,

Me rappelant d’avoir parfois perdu ma trace

Ou contemplant mon art que j’aime avec orgueil.

Quel est ce Faust assis qui rêve sur mon seuil.

 

 

Life is a moment...

 

Life is a moment that cannot be fragmented;

From past to future it always remains the same;

And your simultaneous spirit’s a sole theme,

The same symphony: the scherzo, the andante

 

That weeps and the allegro striving to prevail.

You were yourself the day when, close to this old wall,

Flooded with spring, your childhood heart begins to swell,

And when, beneath your brow, the whole sky rent its veil

 

Caressed by sunlight where the wheat will soon mature.

And you were still yourself when all the pain is there

With its atrocious hounds and sought to plague and scare,

Its hunting cries that soul and flesh can scarce endure;

 

In the hatred and love of life; in love – a flame

With its empty thrill or angelic devotion,

With lasting sorrow and brief bliss its sure potion;

False heart, weak, faithless, someone else yet still the same.

 

Deified spirit, you were that yellow-fire cowl

Of lunar months which tend the herds along the leas,

Water-logged in October, and the violet peace

Of evening traversed by the vague cry of an owl.

 

A Swiss lake, Schubert, a wood in Lorraine, the pines

With purple trunks… with close at hand a sea that gasps;

Pisa, the silver wind among the Apennines,

The Palatine, where one picks daisies in the grass.

 

The pond with which you inextricably have melled,

The smell of which as much as music spoke to you,

The harps of reeds, their slow arpeggios dispelled,

The cloudy sighs of mystic poplars that you knew.

 

And that is why this book, which all of me contains,

Has made a wood out of my years that intertwines

Blossoming olive trees with autumn beech’s lines,

The seep of weeping moss, a collared dove’s soft strains.

 

I wrote it for myself, often with bowed-down head,

Recalling sometimes I have lost my guiding thread,

Or thinking of my art, which I still love with pride,

Who is this seated Faust that dreams here right outside.

 

 

Wednesday 25 August 2021

Marie Dauguet: 'Se dépasser' (1924)


 

Se dépasser

 

C’est un soleil blasé et qui n’a plus de flèches

Dans son terne carquois;

Sur le marais cuivreux et que l’ombre caresse

S’abattent en chuchotant des vols sournois.

 

C’est un soleil repu: il a goûté tous les 

Parfums du marécage; aux embruns violets

Des eaux, il a mêlé ses feux aromatiques

Qui doraient les bourbiers au fond des moindres criques.

 

C’est un soleil gonflé de brouillard et d’odeur,

Enivré de l’opium humide de la terre,

Où mon cœur, ivre aussi, mélange sa lueur;

Qui mêle son secret stellaire à mon mystère

 

Humain. – Comme je t’appartiens, soir solitaire!

Un animal profond, subtil, revit en nous:

Nous foulons ces vases antiques où tu erres

Encore, vieux vouloir, d’où nous surgissons tous.

 

Je palpe cet effluve aux lointaines richesses

Qui berce quelle âme en puissance et quel instinct?

J’aspire à ce qu’un être admirable paraisse

En moi, dépassant l’homme où nous avons atteint!

 

 

To go beyond oneself

 

It is a jaded sun – no arrows still in place –

Its quiver a dull brown;

On the coppery marsh, in the shadows’ embrace,

Sly light-shafts softly whispering come raining down.

 

It is a sated sun: has tasted as its prey

All perfumes of the swamp; and with the purplish spray

Of waters it has mixed its aromatic fires

Which at the heads of smallish coves glazed soggy mires.

 

It is a sun bloated on fog and smells that grow,

Drugged on humid opium which the earth sets free,

Where my heart, also drunk, blends its own special glow,

Mixing stellar secret with human mystery.

 

Solitary evening, how I belong to you!

A deep and subtle beast relives in us once more:

We crush these antique vases that you still stray through

Alone, ancient desire, and from them upwards soar. 

 

I feel this fragrance in far riches drawing near –

What instinct does it cradle, what potential soul?

I wish for some praiseworthy being to appear

In me, exceeding mankind as a final goal!

 

Monday 23 August 2021

Marie Dauguet: 'Couleurs' (from 'Clartés', 1907)


 

Couleurs

 

Rouge poignard aigu dans le cœur qu’il perfore,

Clairon sonnant la diane aux portes de l’aurore,

Cri du désir haineux qui baise et qui déflore,

Sanglots fous du soleil au bord du ciel sonore.

 

Vert (surtout vert fané) le silence des cours,

Sous la mousse ancien banc déserté par l’amour

Ou miroir délaissé où se fane le jour,

Menuet évoquant de vétustes atours.

 

Violet résigné, vieux damas de bannières,

Que portent calmement les dames du Rosaire,

Note consolatrice au fond du sanctuaire

Baignant les yeux flétris de paix et de prière.

 

Orangé, chant fastueux de violoncelle

Dont l’âme est ébranlée et qui soudain descelle

Les tombeaux où dormaient, rigides, sous leurs ailes

Les souvenirs défunts. - Odeur de ravenelles.

 

Jaune assaut forcené rué à travers l’air,

Cymbale, tambour d’or, hystérique concert

Entraînant le vouloir à son rhythme de fer,

Où splendidement s’épanouissent les nerfs,

 

Bleu, c’est l’extase, qui grise mieux que le vin,

La recherche exaltée et folle du divin;

Des chants d’orgue, des lys au parfum souverain

Que l’on goûte en pleurant la tête dans les mains.

 

 

Colours

 

Red: a sharp dagger in the heart that is pierced through,

A reveille on the bugle when day is new,

A cry of vicious lust, embracing, stripping bare,

The sun’s mad sobbing in the high resounding air.

 

Green (above all, faded): a courtyard’s silent mood,

A moss-flecked ancient bench that love has left for good,

A derelict mirror where fading days expire,

A minuet evoking outmoded attire.

 

Purple: resigned, damask roses of heraldry

So calmly worn by ladies of the Rosary,

A soothing note deep in the sanctuary’s lair,

Bathing eyes that have grown jaded from peace and prayer.

 

Orange: the cello that sings so sumptuously,

Whose soul is shattered and that suddenly works free

The tombs where, stiff, deceased, beneath their pinions pent,

Memories lay asleep. – Wild radishes’ strong scent.

 

Yellow: frenzied assault, stampeding through the air,

Cymbals, a golden drum, a frantic concert’s blare

That rouses the will with its iron rhythmic verve,

And splendidly invigorates each vibrant nerve.

 

Blue: ecstasy intoxicating more than wine,

Exhilarated mad pursuit of the divine;

Chants on the organ, lilies’ fragrance that expands

And that one tastes while weeping, one’s head in one’s hands.

 

Thursday 19 August 2021

Marie Dauguet: 'Printemps' (published in the revue 'Pan' in 1912)


 

Printemps

 

Le soleil neuf du matin,

Dans sa blondeur,

Dans sa candeur,

Le soleil pose

Sur les choses,

Et la rosée qui les décore

Et tremble dans l’air suspendue,

Un givre d’or.

 

Les objets n’ont pas de contours

Dans la campagne…sans frontière…

Ils fondent parmi la lumière

Dont l’afflux trébuchant les agite.

 

Les objets n’ont pas de contour,

D’une translucide matière;

Le soleil aux blondes paupières

Partout les baise avec amour.

 

Nulle opacité… tout s’aère

Les ombres sont claires…très claires,

Par taches, en tremblants filets

Et du ton léger des bleuets.

 

Un prisme errant se pulvérise;

Adorable confusion

De chaque objet et du rayon

Qui le pénètre et qui le grise.

 

Mon cœur s’ouvre dans la clarté

Aromatique et musicale,

Lune, ferme la fleur d’opale,

Vibre en nous, soleil enchanté.

 

 

Spring

 

The newly risen morning sun,

In blond brightness,

And forthrightness,

Begins to land

On what’s at hand,

On dew that adds enhancing gloss,

And quivers in the hanging air,

A gold hoar frost.

 

In country setting objects lack

Clear contours… All just seems to merge…

They melt within light’s tumbling surge

Which causes them to whirl and swirl.

 

Objects are shapeless, on the move,

Translucent substance that seems spare;

The sun, blond-lidded, everywhere

Embraces them with ardent love.

 

Nothing’s opaque… all turns to air

Shadows grow clear… extremely clear,

In patches, trembling streaks and shreds

And bluish tinges here and there.

 

A straying prism turns to spray;

A muddled but delightful state

Of every object and the ray

Which pierces and intoxicates.

 

The dulcet, fragrant clearness won

Causes my heart to open wide,

Moon, time your opal flower to hide,

Vibrate in us, enchanted sun.

 

Marie Dauguet: 'Ode à l'amant' from 'Ce n'est rien, c'est la vie' (1924)


 

Ode à l’amant

 

Tu es la vigueur du soleil

Et ta sève embaume.

Elle est un ruisseau de mai sous l’aubépine,

Plus douce que la fleur du sureau.

Tu te dresses et tu es la force de la forêt!

 

Tes reins blessent mes mains nouées,

Tu es rude comme un chêne.

Je t’ai baisé comme un rouge-gorge dans ma main,

J’aime la tiédeur de ton corps dans ma main.

 

Je me rassasie de ton odeur sauvage;

Tu sens les bois et les marécages

Tu es beau comme un loup,

Tu jaillis comme un hêtre

Dont l’énergie gonfle l’écorce.

... Le nœud de tes épaules est dur sous les mains;

L'axe du monde est dans ta chair.

... Mais je louerai ton cri sauvage,

Mais je louerai ton corps qui embaume,

C’est un bois sauvage aux rudes fleurs.

Je louerai ta brutalité,

Le sanglot rauque de ta chair;

 

Je louerai ta sève immense

Où l'univers est en puissance.

Je louerai tes poings et comment ils se dénouent

Tout à coup quand tu retombes

Au creux d'une épaule,

Plus doux qu’un petit enfant

Et plus innocent qu’un ange.

 

 

Ode to the lover

 

You are the vigour of the sun

And your sap exudes scent.

It is a stream in May beneath the hawthorn,

Softer than the elderflower.

You stand erect and you have the force of the forest!

 

Your loins wound my clenched hands,

You are as rugged as an oak tree.

I have embraced you like a robin in my hand,

I love the warmth of your body in my hand.

 

I satiate myself on your wild odour;

You smell of woods and of swamps

You are as handsome as a wolf,

You shudder like a beech tree

Whose energy inflates its bark.

… The knot of your shoulders is hard beneath my hand;

The axis of the world is in your flesh.

… But I will borrow your wild cry,

I will borrow your scented body,

It is a wild wood with coarse flowers.

I will borrow your brutality,

The throaty sob of your flesh;

 

I will borrow your immense sap

Where the universe is in the making.

I will borrow your fists and how they suddenly

unclench when you fall back

Into the hollow of a shoulder,

Softer that a small child

And more innocent than an angel.